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Une fleur qui sentait mauvais

Édito au numéro 51 / Mars 2024 / Des mitochondries au microbiote. Notre histoire d’amour avec les bactéries - par Cécile Breton

La marque Guerlain, qui parfume et oint les dames depuis 1828, avait déjà mis à profit les abeilles et la noblesse d’Empire puisqu’en 1853 la création de l’Eau de Cologne Impériale pour l’impératrice Eugénie lui a valu le titre convoité de “Parfumeur breveté de sa Majesté”. Consécration récompensant bien des efforts puisque ce parfum faisait suite à une longue liste de créations “impériales” dont le Parfum Impérial, le Bouquet de l’Impératrice et même le Bouquet Napoléon.

Aujourd’hui il ne s’agit plus de plaire à l’Empereur mais de prendre en marche le train fou de la recherche scientifique. Il faut bien vivre et donc s’adapter. C’est désormais à la science de « révéler la lumière quantique cellulaire de notre peau » grâce à une technologie innovante et des recherches restées secrètes (c’est-à-dire non publiées). Mais, après que youtubeurs et scientifiques lui sont tombés dessus, le parfumeur a rapidement supprimé l’adjectif “quantique” de la promotion de sa crème “Orchidée impériale Gold nobile”.

Si la physique s’en sort avec les honneurs qu’en est-il de la botanique ? Annoncée comme “endémique de l’Himalaya” Gold nobile, n’existe pas, elle s’appelle Dendrobium nobile (c’est bien précisé, quoiqu’en petits caractères sur le site de Guerlain).

Dendrobium nobile
Phalaenopsis amabilis
Quelle est l’orchidée “blanche ordinaire” et quelle est l’orchidée “endémique aux propriétés prodigieuses” ? Un indice : les pétales de l’une diffusent plus de lumière que ceux de l’autre (clichés snotch et Ausstellung/CC).

Son nom de genre est moins “brillant” que l’or, mais son nom d’espèce respecte l’image de la marque. On y précise que « la lumière diffusée par ses pétales est ainsi plus intense de +68 % par rapport à une orchidée blanche ordinaire » (toujours en petits caractères, on apprend que l’“ordinaire” s’appelle Phalaenopsis amabilis). Aucune des deux n’est endémique et on les trouve facilement chez tout bon pépiniériste. Bref, sans avoir poussé plus loin mes recherches, j’ai cru comprendre que l’atout de nobile sur amabilis est sans doute lié au fait qu’elle figure en bonne place dans la tristement célèbre pharmacopée chinoise traditionnelle.

Depuis la crème “Tho-radia” qui promettait aux belles de bénéficier, grâce à l’alliance du thorium et du radium, des bénéfices de la radioactivité sur leur peau, on sait que l’histoire matrimoniale des sciences et de la cosmétique est parsemée d’embuches. Mais les contorsions intellectuelles demandées aux services marketing d’aujourd’hui pour concilier non seulement science et beauté mais aussi nature et science font peine à voir.

Si le parfumeur a pu conserver le symbole de l’abeille – qui d’impériale n’est plus que royale – pour vendre des crèmes à base de gelée royale – justement –, d’autres doivent innover sans cesse. Ainsi apparaissent régulièrement sur le marché des inventions grisantes comme, dernièrement, le “collagène vegan (sans OGM)” sur lequel je ne m’étendrai pas.

Inventions nouvelles, mais recette ancienne qui se nourrit de l’image des sciences plutôt que de leur réalité, se repait de notre ignorance et parie sur nos peurs. Plus la recherche progressera, plus nous devrons nous préparer à ces manipulations (dont les auteurs n’ont parfois même pas conscience). C’est pourquoi, cette fois, point de bel animal ou de plante étrange sur notre couverture, car nous savons que les lecteurs d’Espèces aiment la biologie, apprécient la beauté de ses schémas et l’élégance de ses termes techniques… du moins on l’espère pour nous !