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Domestique toi-même !

Édito au numéro 50/Décembre 2023/Une autre histoire de la domestication - par Cécile Breton

Dans le numéro 18 de décembre 2015, j’avais consacré une page à… mon chien. À l’origine de cet abus de pouvoir rédactionnel, sa perte, dans la vallée du Reginu où j’habitais alors, en Haute-Corse. Cette page m’a valu un courrier courroucé qui me reprochait, non pas d’avoir utilisé Espèces pour parler de mes problèmes personnels – ce que j’aurais jugé légitime – mais de parler d’un chien, qui n’est pas vraiment un animal, et n’avait donc pas sa place dans une revue d’histoire naturelle. Pas un animal ? De mémoire, l’auteur de ce courrier argüait que les animaux domestiques, par leur commerce étroit avec l’homme, n’étaient plus vraiment des animaux et que lui, ce qu’il attendait d’Espèces, c’était qu’on lui parle de la nature, la vraie, la sauvage, la tatouée !

Le comte de Buffon, dans son style inimitable, a largement fait preuve de la piètre image qu’il avait des animaux domestiques, qui était sans doute celle de son temps mais qui, malheureusement, semble subsister. Comme le monsieur énervé, il considérait les espèces domestiques comme des formes dégénérées des espèces sauvages. Vulnérables et imbéciles, elles sont si dépendantes de l’homme qu’elles ne peuvent subsister sans lui. Pour le cas des brebis – qui en prennent tout particulièrement pour leur grade –, il conclut « Mais cet animal si chétif en lui-même, si dépourvu de sentiment, si dénué de qualités intérieures, est pour l’homme l’animal le plus précieux, celui dont l’utilité est la plus immédiate et la plus étendue… » Je m’étonne (mais pas tellement) qu’à ce stade de sa réflexion le grand homme ne se soit pas immédiatement posé la question : mais qui dépend donc de qui ? Et ceci se confirme avec les quelques domestiques qui ont sa faveur, comme le chien, dont les “qualités intérieures” et les “sentiments” le rendent “digne d’entrer en société avec l’homme” puisque « Comment l’homme aurait-il pu, sans le secours du chien, conquérir, dompter, réduire en esclavage les autres animaux ? »

Lévrier greyhound (dans Histoire naturelle de Buffon)
Le chien : le mythe selon Buffon, lévrier greyhound (planche issue de l’Histoire naturelle des animaux).
Le chien : la réalité selon moi, corniaud (archives personnelles).

Pour le cas des brebis – qui en prennent tout particulièrement pour leur grade –, il conclut « Mais cet animal si chétif en lui-même, si dépourvu de sentiment, si dénué de qualités intérieures, est pour l’homme l’animal le plus précieux, celui dont l’utilité est la plus immédiate et la plus étendue… » Je m’étonne (mais pas tellement) qu’à ce stade de sa réflexion le grand homme ne se soit pas immédiatement posé la question : mais qui dépend donc de qui ? Et ceci se confirme avec les quelques domestiques qui ont sa faveur, comme le chien, dont les “qualités intérieures” et les “sentiments” le rendent “digne d’entrer en société avec l’homme” puisque « Comment l’homme aurait-il pu, sans le secours du chien, conquérir, dompter, réduire en esclavage les autres animaux ? »

Bien sûr, sans les races domestiques, l’humanité aurait pu survivre en continuant à chasser ou en se convertissant au véganisme précocement et, sans l’humanité, les espèces domestiques ne le seraient jamais devenues et tout le monde ne s’en porterait peut-être pas plus mal. Néanmoins, comme le dit Dominique de Villepin à propos du conflit israélo-palestinien, l’important n’est pas vraiment de savoir si on aurait pu faire autrement ou qui a commencé mais : qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Car nous sommes aujourd’hui bien mal à l’aise, contraints d’abandonner l’idée confortable que notre rôle sur cette Terre était de la dominer. Dans ce numéro, il ne sera pas directement question des dérives de l’élevage industriel – d’autres en parlent bien mieux que nous. Nous avons plutôt souhaité raconter, dans toute sa diversité et sa complexité, la longue histoire que nous avons en commun avec ceux qui nous ont nourris, chauffés, habillés et prêté leur force depuis toujours et sur tous les continents. Ceci dans l’espoir que cela nous aidera à apaiser un peu la dissonance entre ce que nous savons aujourd’hui des bêtes et ce que nous mangeons.