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Esprit critique, es-tu là ?*

Édito au numéro 48/Juin 2023/Les abeilles : douées pour les maths ? - par Cécile Breton

Parmi les concepts que les adversaires aiment à se renvoyer à la figure lors d’un débat comme dans une partie de pingpong, on trouve “l’esprit critique” et son corolaire “l’ouverture d’esprit”. C’est ce “manque d’ouverture d’esprit” qu’une ancienne camarade de classe très croyante m’avait reproché un jour, tant il est vrai que le Saint-Esprit (p. 76)** est l’une des limites à mon ouverture d’esprit. Ceci dit, j’ai aussi eu parmi mes camarades de classe Alexandra Henrion (aujourd’hui Alexandra Henrion-Claude) dont vous trouverez les publications en tête de gondole à la Fnac alors que je me traine péniblement derrière une pile de Télé 7 jours ou pire, d’OVNIS magazine, dans les linéaires de presse. L’esprit critique est une croix.

J’en étais là de mes réflexions lorsque la publication du dernier “Baromètre de l’esprit critique” est venue m’offrir un espoir. C’est la deuxième année que ce sondage Opinionway pour Universcience est réalisé et, s’il n’offre pas beaucoup de recul sur l’évolution de cette notion dans l’esprit des Français, il est néanmoins intéressant à plus d’un titre.

* Expression empruntée au collectif Cortecs, d’utilité publique (cortecs.org).

** J’indique les pages à l’intention de ceux tentés de reprocher à mes éditos d’être sans rapport avec le contenu du numéro.

Le_désespéré_par_Gustave_Courbet
Malgré les dires de certains historiens de l’art, Gustave Courbet ne s’est pas représenté ici face à une apparition de l’esprit critique ni même de l’Esprit saint (Le désespéré, 1843-1845).

Je vous en propose ici une interprétation tout à fait partiale selon le principe du cherry picking, l’inévitable biais de confirmation. À la question « Quel souvenir avez-vous ou gardez-vous des disciplines suivantes pendant votre scolarité ? » 58 % des 2 048 sondés ont répondu « Un bon souvenir » concernant les sciences de la vie et de la Terre ! En revanche, leurs principales sources d’information sont internet (hors réseaux sociaux) à 70 % contre 36 % pour la presse papier. Les plus matheux d’entre vous (p. 14) auront immédiatement fait le calcul : le résultat est supérieur à 100. En effet, pour de nombreuses questions, les sondés avaient plusieurs possibilités de réponses, et celle donnée en premier est parfois indiquée. Par exemple, les centres d’intérêt principaux sont, pour la majorité, les voyages et le tourisme (p. 38) 49 % (13 % en premier choix à égalité avec la lecture), les sciences arrivent en fin de liste avec 23 % (4 % en premier à égalité avec l’actualité économique et financière, les techniques et… les arts).

Doit-on en conclure que les Français (p. 80) qui ont un bon souvenir de leur professeur de sciences naturelles (p. 22) préfèrent s’informer sur le tourisme via internet ? Évidemment non. L’esprit critique n’est pas la seule notion à revêtir des réalités bien différentes, c’est aussi le cas de la “presse” (quotidienne, people, etc.) ou de la “science” (sciences exactes, technologie, méthodologie, etc.).

Je me suis donc réfugiée vers un sujet dont la définition est (pensais-je) claire pour tout le monde : le réchauffement climatique. À l’affirmation « Il y a un consensus scientifique indiscutable sur le réchauffement climatique », ils sont 63 % à répondre “tout à fait” (20 %) ou “plutôt d’accord” (43 %) et 23 % pas d’accord… et lorsqu’on les interroge sur le fait que « Les vagues de froid récentes aux USA montrent qu’il n’y a pas de réchauffement climatique », 22 % acquiescent !

Misère, je sens que mon manque d’ouverture d’esprit va encore se manifester. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il y aura toujours, quelque part, au café de la Poste, dans les réceptions mondaines, les diners entre potes ou au bar de l’Assemblée nationale, un type qui soupirera « Le réchauffement climatique ? Ouais… d’accord, mais bon… » Et cela suffira à faire s’effondrer le travail des centaines de climatologues, d’océanographes, de biologistes et à faire planer le doute sur toutes leurs études et sur tous ces chiffres compilés depuis des décennies. Gardons le moral (p. 64), 70 % des jeunes interrogés pensent qu’une « affirmation a plus de valeur si elle a été validée scientifiquement ».