Home Éditos 44_Edito P… trois ans !

P..., trois ans !

Édito au numéro 44/Juin 2022/Les ornithoptères. Papillons à ailes d'oiseau - par Cécile Breton

Extrait du résumé pour les décideurs du troisième volet du sixième rapport du GIEC montrant les quatre scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. La courbe rouge indique la dynamique sur laquelle nous sommes ; la bleu clair, celle à suivre pour rester en dessous des 1,5 °C. Entre les deux, en violet, celle qui semble du domaine du possible au prix de mesures prises immédiatement, nous maintient péniblement au-dessous des +2 °C.

2913 pages, c’est l’épaisseur du troisième volet du sixième rapport du GIEC paru le 4 avril dernier  ; et 63, c’est le nombre de pages du “Résumé pour les décideurs”. Le communiqué de presse en français, quant à lui, fait six pages, dont la moitié est consacrée à des rappels historiques (pour ceux qui sont restés au fond, près du radiateur), aux données techniques comme le nombre d’auteurs (278) et de publications compilées pour en arriver là (18 000).

Donc, trois pages, pour en résumer près de 3000, c’est déjà un exploit mais, malheureusement, trois pages, c’est encore trop, car ce que l’on a vu fleurir dans la presse ce sont deux mots “3 ans”.

BFM (exemple pris au hasard) nous dit « […] l’humanité n’a plus que 3 ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre pour conserver un monde “vivable”. »

Même si de nombreux journalistes ou observateurs ont rapidement opposé un “non, mais, c’est plus compliqué que ça”, la caisse de résonance des réseaux sociaux avait déjà opéré son œuvre : un bloom de “3 ans” fleurissait sur les fils d’actu. Autres exemples (pris au hasard sur Twitter, mais cette fois c’est la vérité) : « Il nous reste plus que 3 ans pour agir bordel, y’a urgence, putain, on va tous mourir » ou encore « Rapport du #GIEC : 3 ans, ils nous prennent pas un peu pour des cons ? ».

D’où vient cette “simplification abusive” ? Dans le communiqué de presse, seule source officielle accessible en français on lit : « Dans les scénarios que nous avons évalués, pour limiter le réchauffement à environ 1,5 °C (2,7 °F), les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient atteindre leur valeur maximale avant 2025, puis diminuer de 43 % d’ici à 2030 ». Le calcul est vite fait : 2025, c’est bien dans trois ans et l’objectif de 1,5 °C est celui visé par les accords de Paris en 2015. De là à dire que le monde ne sera plus “vivable” dès la limite fatidique dépassée, le pas est vite franchi. C’est faux, mais si le GIEC ne dit pas que l’on va tous mourir dans trois ans, ce qu’il dit est finalement plus effrayant. Pour viser un pic d’émissions en 2025, le changement, ce n’est pas dans trois ans, “c’est maintenant”.

Au début, à la rédaction d’Espèces, on était plutôt contents… le deuxième volet, du groupe de travail sur les effets du changement climatique, lui, n’a fait aucun bruit : pas de JT (ou si peu), pas d’interview, pas de panique. Rapidement, une question s’est imposée : La mésinformation provoque-t-elle plus de dégâts que pas d’information du tout ? Force est de constater que, d’un bout à l’autre de l’hexagone, tout le monde a entendu parler des “trois ans du GIEC” mais comment en mesurer la portée ? La proportion de consciences qui se sont réveillées et de celles qui ont jugé que, comme tout était foutu, autant continuer à asphyxier la planète ?

Difficile question dont je n’ai pas la réponse. Je ne peux que me féliciter que vous soyez assez nombreux à nous lire pour que nous puissions continuer à laisser à la science assez de place pour s’exprimer dans toute sa complexité, avec ses incertitudes et ses graphiques compliqués, en d’autres termes, pour nous offrir le luxe de pouvoir lire avec attention les communiqués de presse, de retourner aux sources, de prendre le temps de comprendre… Merci, donc, à vous tous, chers lecteurs.