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Loutres de mer et bilan carbone

• 2014/numéro 12-Juin 2014 par Bruno Corbara

En exergue:

La phrase de Charles Darwin mise en exergue est extraite de son livre de compte-rendu du voyage qu’il réalisa à bord du navire le Beagle autour du monde. Elle fait explicitement référence au kelp (Darwin cite précisément des algues du genre Macrocystis) des côtes du Chili. Le long de ces dernières les loutres de mer Enhydra lutris sont absentes, la distribution historique de cette espèce correspondant exclusivement aux côtes (américaines et asiatiques) de l’Atlantique Nord. Darwin insiste sur l’importance du kelp comme milieu de vie et anticipe les conséquences catastrophiques de sa destruction. L’idée d’interdépendance entre les êtres vivants transparaît de façon très claire dans les propos du naturaliste anglais, précurseur génial de l’écologie moderne. Il insiste également sur l’impact de la dégradation des milieux naturels sur les groupes humains qui, comme ici les Fuégiens en dépendent directement, selon une vision certes « très XIXe siècle » des habitants de la Terre de Feu.

« Je ne peux comparer ces grandes forêts aquatiques de l’hémisphère méridional qu’aux forêts terrestres des régions intertropicales. Je ne crois pas cependant que la destruction d’une forêt, dans un pays quelconque, entrainerait, à beaucoup près, la mort d’autant d’animaux que la disparition du macrocystis. Au milieu des feuilles de cette plante vivent de nombreuses espèces de poissons qui, nulle part ailleurs, ne pourraient trouver un abri et des aliments; si ces poissons venaient à disparaître, les cormorans et les autres oiseaux pêcheurs, les loutres, les phoques, les marsouins, périraient bientôt aussi; et, enfin, le sauvage Fuégien, le misérable maître de ce misérable pays, redoublerait ses festins de cannibale, décroîtrait en nombre ou cesserait peut-être d’exister (…) »

Voyage d’un naturaliste autour du monde
(traduction Edmond Barbier, 1845)
Texte intégral ici

Version originale :

« I can only compare these great aquatic forests of the southern hemisphere with the terrestrial ones in the intertropical regions. Yet if in any country a forest was destroyed, I do not believe so nearly so many species of animals would perish as would here, from the destruction of kelp. Amdist the leaves of this plant numerous species of fish live, which nowhere else could find food or shelter; with their destruction the many cormorants and other fishing birds, the otters, seals and porpoise, would soon perish also; and lastly, the Fuegian savage, the miserable lord of this miserable land, would redouble his cannibal feast, decrease in numbers, and perhaps cease to exist« .

Charles Darwin, 1 June 1834, Tierra del Fuego, Chile
Darwin, C. 1909.
The Voyage of the Beagle., The Harvard Classics Volume 29.
New York, USA: P.F. Collier & Son Company.

Le kelp (cliché Danielm/Wikimedia Commons).

Travaux dont il est implicitement fait référence dans l’article

• Wilmers C.C., Estes J.A., Edwards M., Laidre K.L. & Konar B., 2012 – « Do trophic cascades affect the storage and flux of atmospheric carbon ? An analysis of sea otters and kelp forests ». Frontiers in Ecology and the Environment, 10, 409-415 (doi:10.1890/110176)
• Wilmers C.C. & Getz W.M., 2005 – « Gray wolves as climate change buffers in Yellowstone ». PLoS Biology, 3 (4):e92.

Des travaux récents, réalisés sur plusieurs écosystèmes d’eau douce par Trisha Ashwood (Université de Colombie Britannique à Vancouver) et ses collaborateurs, aboutissent à des conclusions qui vont dans le même sens que les travaux relatés dans l’article Loutres de mer et bilan carbone. Qu’il s’agisse d’une mare, d’un ruisseau ou d’un réservoir de Broméliacée, la présence de prédateurs contribue à une limitation des émissions de gaz carbonique.
• Ashwood T., Hammill E., Greig H.S., Kratina P., Shurin J.B., Srivastava D.S. & Richardson J.S., 2013 – « Predator-induced reduction of freshwater carbon dioxide emissions ». Nature Geoscience (doi: 10.1038/NGEO1734)

Crédits carbone

Au cours des dernières années, le cours de la tonne de CO2 (CER-Certified Emission Reduction en anglais) n’a cessé de baisser sur les marchés européens, passant de presque 20 euros à son introduction en 2005 à environ 0,15 euro en Février 2014 ! Preuve s’il en est de l’échec de cette politique d’incitation à la réduction d’émissions de gaz à effet de serre…