by Hervé RABILLÉ

L'algue géante Macrocystis pyrifera

• 2023/numéro 47

Supplément à l'article “Les iles Saint-Paul et Amsterdam, une aire marine protégée ‘pilote’ ?” de Jean-Pierre Féral, directeur de recherche émérite au CNRS de Marseille, et Thomas Saucède, maitre de conférence à l'université de Bourgogne, à Dijon

Les iles Saint-Paul et Amsterdam (SPA), qui font partie des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), sont entourées d’algues brunes géantes dont la plus abondante est Macrocystis pyrifera, unique espèce du genre, largement répandue dans les deux hémisphères. À SPA, l’espèce est à la limite nord de sa répartition dans l’océan Indien. M. pyrifera est limitée par l’isotherme hivernale 3 °C (létalité à 2 °C) et l’isotherme estivale 18 °C (létalité entre 21 et 25 °C). La température moyenne de l’eau de mer à SPA fluctue entre 12,5 °C en hiver et 19,5 °C en été. Il est probable que l’espèce soit menacée par les effets du changement climatique comme cela a été observé en Tasmanie, principalement sous l’effet de l’oscillation australe El Niño (ENSO). Celle-ci entrainerait la baisse des précipitations, l’augmentation des températures de l’eau de surface et des tempêtes, qui toutes ensemble accentuent la mortalité des algues géantes. Le glissement des courants chauds et des fronts marins vers le sud (environ 20 km par décennie) et la moindre disponibilité des nutriments expliqueraient l’effondrement des populations de Tasmanie.

La sensibilité de M. pyrifera à SPA dépendra aussi du degré d’isolement des populations, encore inconnu du fait du manque de données sur la connectivité locale (entre sites aux abords d’une même ile), régionale (entre Saint-Paul et Amsterdam) et interrégionale (avec l’Afrique du Sud, avec l’Australie ou encore avec les iles de l’océan Atlantique sud).

Forêt_Macrocystis_pyrifera_SPA
Forêt de Macrocystis pyrifera ancrée sur des blocs couverts aux abords de l’ile d’Amsterdam. Ces forêts sont l’habitat transitoire de Nemadactylus monodactylus (le “bleu”, dont trois spécimens sont visibles ici) et de Serranus novemcinctus (le “rouge”, en bas du cliché) ; cliché programme Proteker, fourni par J.-P. Féral).
Carte_répartition_Macrocystis_pyrifera
Carte de répartition mondiale de Macrocystis pyrifera. Dans l’océan Indien, c’est au niveau de SPA que l’espèce atteint sa distribution la plus septentrionale. Modifiée d’après Graham M. H., Vásquez J. A. et Buschmann A. H., 2007 – “Global ecology of the giant kelp Macrocystis: from ecotypes to ecosystems”, Oceanography and Marine Biology: An Annual Review, 45, p. 39-88 (Doi : 10.1201/9781420050943.ch2).

Du fait de sa très vaste répartition, M. pyrifera est une espèce d’un grand intérêt pour le suivi des effets du changement climatique à l’échelle mondiale. Les données satellitaires permettent de réaliser des suivis à très large échelle, mais cet outil puissant nécessite d’être calibré par des observations de terrain. Avec leur position très particulière dans l’océan Indien (les iles sont rares à ces latitudes), les iles SPA seraient idéales pour fournir ces données de calibration. Mais, pour l’instant, faute d’observatoire, les forêts de M. pyrifera de SPA ne sont pas intégrées dans les réseaux d’observations mondiaux.

L’être humain ne peut pas agir directement et rapidement contre les effets du réchauffement des eaux de surface (0,15 à 0,25 °C par décennie dans le nord de la ZEE et 0,08 °C par décennie dans le sud-est de la ZEE de SPA, d’après les observations par satellites). En revanche, il est possible de limiter les pressions anthropiques (surpêche, exploitations de minerais, infrastructures) dont les effets néfastes aggravent la situation.