Les lithothèques, mode d'emploi
• 2022/numéro 44
Supplément à l'article "Plaidoyer pour les lithothèques" de Stephen Giner, attaché de conservation, géomorphologue au service de l'archéologie du Var
Comment fonctionne, au juste, une lithothèque ? Il n’y a pas vraiment de règle et, en France, chaque lithothèque possède ses propres méthodes de prélèvement, de classement et de rangement. Celle que je présente en est une parmi d’autres, avec ses avantages et ses inconvénients. Ce petit B A-BA de la lithothèque n’est donc, en aucun cas, le mode d’emploi de la parfaite lithothèque, mais plutôt un ensemble de conseils que je tire de mon expérience de la lithothèque du département du Var.
Les échantillons de votre lithothèque ne doivent pas trop lourds (il n’est pas rare que nous les transportions dans notre sac à dos au cours de longues randonnées), mais avoir tout de même une taille suffisante pour présenter une surface extérieure facilement identifiable permettant de la comparer avec d’autres roches contenues dans du bâti ou retrouvées sur des sites archéologiques . Ils doivent aussi être suffisamment grands pour, au besoin, être tranchés et polis sur un côté. Un même échantillon présentera ainsi à la fois un aspect brut et une cassure fraîche permettant de distinguer l’intérieur de la roche et ses composants, voir sa granulosité ainsi que sa couleur interne. De la partie coupée, nous ferons une lame mince qui permettra une étude approfondie de l’échantillon.

Moins spectaculaire qu’une collection de minéraux, les pierres ne sont pas exposées mais protégées dans un lithothèque (cliché S. Giner).
Pour constituer une lithothèque, il est conseillé de posséder toutes les cartes géologiques qui couvrent le département et de noter, dans un tableur, toutes les formations présentes dans les notices, afin d’être sûr de n’en oublier aucune. Cela donne une idée du nombre minimum d’échantillons que vous devrez prélever pour avoir une collection complète. Pour un département comme le Var, la lithothèque devrait allègrement dépasser le millier d’échantillons de roches, sans compter les fossiles et minéraux…
Pour prélever à bon escient, il faut préalablement avoir parcouru tous les chemins de randonnée proposés dans les divers topoguides, en étudiant, au préalable, les affleurements géologiques qui seront traversés. Les excursions vous permettront d’acquérir une bonne connaissance de votre territoire, tout en alimentant votre banque d’images photographiques, ces dernières devront montrer les affleurements rencontrés, les paysages dans lesquels ils s’inscrivent, ainsi que la faune et la flore. Plus généralement, le suivi cartographique vous permettra de voir quelles communes vous aurez prospectées et échantillonnées. Il peut être utile de réaliser de telles cartes par période géologique. Dans l’exemple donné ici, les communes en gris clair ne possèdent aucun affleurement du Permien, les blanches sont à prospecter, et les rouges ont des échantillons représentés dans la lithothèque. Il sera aussi intéressant de tenir à jour une échelle stratigraphique vous permettant de voir, au premier coup d’œil, quels étages géologiques sont représentés dans votre lithothèque par rapport à tous les étages accessibles dans le département.

Un exemple de carte des communes d’un département (ici le Var), montrant, en rouge, toutes les communes qui ont déjà été prospectées, et en blanc celles qui restent à « explorer ».

La même carte du Var, mais cette fois-ci ne mettant en exergue que les communes présentant, sur leurs territoires, des affleurements de roches datant du Permien.
L’étape suivante, pour vous, sera de présenter des cartes avec des pointages précis correspondant aux numéros d’inventaire des échantillons. Dans l’inventaire, votre tableur doit présenter plusieurs entrées indiquant, pour chaque échantillon, les ères, périodes, époques, étages et sous-étages géologiques, le nom de la roche, puis le nom de la carte géologique sur laquelle nous pouvons retrouver la zone de prélèvement (une colonne pour chaque information). Pour être complet, vous devez également donner le code de notation de l’affleurement dans la notice de la carte géologique, et son appellation. Les informations géographiques doivent inclure le nom de la commune dans laquelle l’échantillon a été prélevée, ainsi que les coordonnées en degrés sexagésimaux (c’est-à-dire en degrés, minutes et secondes ; par exemple, Toulon se trouve à 43° 8’ 10,12’’) et en Lambert 93, qui est la projection officielle pour les cartes de France métropolitaine (Toulon, dans ce système de coordonnées, se trouve à X 935,96 et Y 6229,11), ce qui permettra de retrouver l’endroit précis que l’on peut ensuite reporter sur une carte supplémentaire plus détaillée.
Chaque échantillon doit être inventorié, et c’est là que, souvent, le bât blesse. Quel code choisir ? Je ne peux que recommander la numérotation utilisée par les musées de France. Par exemple, vous entrez dans l’inventaire un galet de granite, récemment collecté. Vous êtes en novembre 2021 ; le numéro d’inventaire commencera par 2021. Il s’agit du neuvième échantillon que vous entrez au cours de l’année, vous écrirez donc : 2021.9 et ce sera tout. Imaginons, ensuite, que l’échantillon suivant, le dixième, se trouve en deux parties. Vous écrirez 2021.10.1 pour l’un des deux morceaux, et 2021.10.2 pour le suivant. Imaginons maintenant que vous souhaitiez intégrer un ancien échantillon très bien référencé – je préfère en fait repartir de zéro pour des simplifications de méthodes, mais l’échantillon peut provenir d’une zone qui se trouve sous un lotissement aujourd’hui –, il faudra donc écrire : 2021.0.11. Il s’agit du onzième élément de votre lithothèque, mais qui provient d’un fonds ancien, ce qu’indique le 0 intercalé. Si le douzième échantillon provient aussi du fonds ancien et est constitué de trois parties, on référencera ces trois morceaux comme suit : 2021.0.12.1, 2021.0.12.2 et 2021.0.12.3.

Un échantillon soigneusement référencé et annoté.
Le lieu de stockage est bien entendu mentionné : les échantillons sont rangés dans des étagères, soigneusement numérotées tout comme les travées, les plateaux et les boites. Par exemple, vous indiquerez que l’échantillon 2021.13 est rangé dans l’étagère 9, travée 2, plateau 4, boite 5. Vous devrez aussi préciser le type de roche (sédimentaire, métamorphique ou volcanique) ; il est conseillé d’attribuer un code de couleur à chaque type, pour les différencier plus facilement. Vous devrez marquer chaque échantillon à l’encre de Chine avec son numéro d’inventaire donné, et en prendre une photographie. Les lames minces seront elles-mêmes rangées dans d’autres boites, avec le même type de classification, permettant de retrouver rapidement de quel échantillon elles proviennent.