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Un peu de sérieux s’il vous plaît

Édito

Édito du Numéro 53 (Septembre à Novembre 2024)

Ils nous fascinent depuis 200 ans : les dinosaures

Publié le 26 août 2024

Le géologue et paléontologue anglais William Buckland, il y a deux siècles, en 1824, réussit l’exploit de publier la première description scientifique d’un dinosaure… sans savoir qu’il s’agissait d’un dinosaure. Et pour cause : le terme de “dinosaure” ne fut introduit qu’en 1842 par Richard Owen. Mais ce dernier avait bien compris que le Megalosaurus, le “grand lézard”, de Buckland, était un membre de ce groupe zoologique défini sur la base de caractères ostéologiques bien identifiés. En deux siècles, Megalosaurus a vécu sa vie, si l’on peut dire. On lui a attribué à tort un nombre impressionnant de fossiles qui, le plus souvent, n’avaient pas grand-chose à voir avec ceux décrits par Buckland. Les dinosaures aussi, dans leur ensemble, une fois identifiés comme tels, ont connu une belle carrière, au point d’en devenir parfois agaçants. Ou plutôt, la façon dont certains de nos contemporains les considèrent peut agacer. Il est amusant de voir des enfants en assez bas âge se passionner pour eux et apprendre leurs noms par cœur – il semble même que cela puisse aider à développer leurs capacités cognitives –, mais quand des chercheurs, professionnels ou pas, croient utile d’affubler les fossiles qu’ils extraient de surnoms un peu niais (de “Bloody Mary” à “Caramel”), on se prend à rêver de l’époque où Buckland décrivait son Megalosaurus en termes concrets et scientifiques, sans hyperbole ni fioritures.

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Les enfants d’aujourd’hui s’enthousiasment pour les dinosaures. Il n’en fut pas toujours ainsi, si l’on en juge par ce dessin de John Leech paru dans le magazine satirique Punch en 1853. On y voit le trio des dinosaures initiaux, sous la forme des modèles grandeur nature réalisés par Benjamin Waterhouse Hawkins sous la supervision de Richard Owen, dans le parc du Crystal Palace à Londres. Megalosaurus est en haut à droite, accompagné d’Iguanodon en haut à gauche et de Hylaeosaurus en bas à droite ; on voit aussi un crocodile et un ichthyosaure.

Les dinosaures méritent mieux que certains traitements qu’on leur inflige. Il est permis d’espérer que les articles contenus dans ce dossier le montrent. En s’intéressant d’abord à l’histoire des découvertes et aux découvreurs eux-mêmes, souvent assez pittoresques… à commencer par William Buckland, aussi brillant qu’excentrique. Dans un autre registre, Louis Dollo, évoqué par Pascal Godefroit, est tout aussi digne d’intérêt : ce Belge mélomane et germanophile (quand ce n’était pas de mise) révéla au monde les superbes squelettes d’Iguanodon trouvés dans la mine de Bernissart, même s’il ne trouva jamais le temps de les décrire en détail. Mais les dinosaures n’appartiennent pas seulement à l’histoire des sciences, aussi peut-il être utile de s’intéresser à des découvertes récentes, sans pour autant tomber dans le sensationnalisme exaspérant de bien des dépêches d’agences. Les Abélisauridés, par exemple, grands dinosaures carnivores du Crétacé, nous changent agréablement du sempiternel T. rex. Il y a à peine quarante ans que cette famille a été reconnue par les paléontologues, et les nouvelles découvertes qui se succèdent apportent leur lot de questions, y compris en France comme le montre bien Thierry Tortosa. Puisque tout a une fin, les dinosaures (du moins ceux qui n’étaient pas des oiseaux) eurent la leur. Philippe Claeys nous montre, sur la base des travaux les plus récents et sans tergiversations fatigantes, comment elle fut provoquée par le grand impact météoritique de la fin du Crétacé. Et enfin, puisque les dinosaures sont devenus des éléments de la culture populaire, pourquoi ne pas se pencher sur ce qu’elle en a fait ? François-Louis Pelissier nous montre ainsi comment le cinéma, via Jurassic Park et ses suites (que l’on évitera de juger ici), s’est emparé de dinosaures bien réels pour en faire des “raptors” qui doivent plus à la fiction qu’à la réalité. Et, par une sorte de retour des choses, comme le montre Victor Monnin, les figurines représentant des dinosaures ont pu dépasser leur rôle de jouets pour servir à des études scientifiques ou devenir des œuvres d’art.

Les dinosaures ne sont pas là pour nous faire rêver. Ils ne sont pas là pour nous, d’ailleurs. Mais il n’est pas de bonne science sans une dose d’imagination, et s’intéresser à ces êtres disparus sans sombrer dans la puérilité ménage évidemment de grandes satisfactions intellectuelles.

Eric Buffetaut

Paléontologue, directeur de recherche émérite au CNRS, ENS Paris

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Cet édito a été publié dans le Numéro 53 d'Espèces :

Ils nous fascinent depuis 200 ans : les dinosaures

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