À l’heure où nous mettons sous presse – selon la formule consacrée –, le résultat des élections américaines n’est pas encore connu. Du bureau où nous bouclons ce numéro, seulement quelques bribes des débats me parviennent. Des bribes, ou plutôt des invectives.
Malgré le brouhaha, mon esprit vagabonde… Cette couverture m’évoque une soirée passée sur une plage de l’extrême sud de la Corse où, en pénétrant dans l’eau, une douce luminescence bleue m’avait aussitôt enveloppée. Imaginez, si vous ne l’avez pas vécu, la plénitude d’un soir d’été chargé du lourd parfum qu’exhalent les immortelles et les cistes, à la faveur de la fraicheur du soir. L’eau noire qui subitement s’illumine. L’idée que les fées ne sont pas ces petits êtres sylvestres dont parlent les légendes, mais bien des créatures marines.
“Attardée”, éructe l’un, “dérangé”, répond l’autre.
En parcourant les articles, j’imagine que le dragon de Komodo de la page 25, couché sur sa plage lointaine, jette un regard mélancolique vers les rivages de l’ile-continent d’où ses semblables sont partis il y a bien longtemps. Autres lieux, autres légendes. Sur les plages de Méditerranée et de la Manche s’échouent ceux qui n’avaient pas d’autre choix que de partir. Ce n’est pas une légende cette fois, mais bien la réalité.
On pourrait dénombrer à l’infini les désordres du monde qui nous donnent envie de nous réfugier dans nos souvenirs. Et, pendant que je rêvasse en fignolant ma couverture, alors que Trump et Harris s’insultent, à Cali, en Colombie, les représentants de l’Union internationale pour la Conservation de la Nature agitent des rapports aux conclusions chaque fois plus terrifiantes. Les menaces qui pèsent sur le vivant se rapprochent de nous, ce ne sont plus seulement les exotiques dragons de Komodo qui payent la facture, mais aussi les arbres, dont un tiers des essences flirte avec l’extinction, et le si familier hérisson commun… qui n’aura bientôt plus rien de commun.
La COP 16 ne fait pas la une des journaux, mais comment le pourrait-elle ? Que valent quelques grammes de hérisson face au sinistre cortège des victimes d’inondations, de la pauvreté, de conflits plus imbéciles les uns que les autres. Dans les journaux, l’humanité parle d’elle-même, et c’est bien “naturel”.
Mais voilà que je me prends à rêver d’un hérisson en patron de presse fignolant une couverture sur la disparition des insectes et la fin des autoroutes.
En juin prochain, la troisième Conférence des Nations-Unies sur l’océan se tiendra à Nice. La mer, à laquelle nous dédions plusieurs articles de ce numéro, ne sera bientôt plus celle qui semblait s’illuminer pour moi en ce fameux soir d’été. Nos rêveries seront-elles alors notre dernier refuge ? Faisons en sorte que notre imagination ne soit pas seulement au service de notre nostalgie ou de notre aveuglement, mais qu’au contraire elle nous aide à voir, à exalter la beauté et à contrer ce qui la menace.