Dans quelques jours, le 28 juin, nous fêterons le tricentenaire de la naissance de l’auteur du Contrat social… 300 ans d’âge pour celui qui parlait de vertu, d’égalité, de simplicité volontaire (pardon, ça, c’est Pierre Rabhi…) et rêvait d’un monde idéal, un Éden, où l’homme n’aurait pas été perverti par sa propre société : Jean-Jacques Rousseau. Inutile, après cette brève introduction qui résume trop mal sa pensée, de discuter l’héritage qu’il nous aurait laissé. On pourrait le déceler un peu partout, dans les “vues idéales” du Paléolithique des livres de vulgarisation du XIXe siècle où trônaient des chasseurs chevelus accoudés sur leur gourdin, entourés d’aimables bêtes, perpétuant sans cesse l’image de saint Eustache (au centre) entouré des habitants de la forêt (autour), jusqu’à Blanche-Neige gazouillant de concert avec les oiseaux. Le choix de l’animal est, dans ce cas capital : en effet, une représentation de saint Eustache entouré de scolopendres et de rats irait à l’encontre de l’effet recherché.
Cette image idéalisée de la nature nous ne la devons pas à Rousseau, elle est ancrée dans les cerveaux d’Homo sapiens sous bon nombre de latitudes et depuis les temps les plus reculés, mais, nous le savons, l’amour se confond souvent avec le désir de possession, il ne faut donc pas aimer comme Bernardin de Saint-Pierre, qui pensait que la Nature avait été façonnée, comme la femme, pour le bien-être de l’homme. Au risque de faire de la philosophie de sitcom, il faut l’aimer comme elle est, rats et les scolopendres inclus, d’un amour sans espoir puisque, au risque d’en décevoir quelques-uns, elle ne nous le rendra pas : elle s’en fout. Cette façon de personnaliser la “nature” comme si elle pouvait s’incarner, comme si nous n’en faisions pas partie, est, bien sûr, parfaitement anachronique – voire idiote – et je sens déjà le poil de certains se hérisser.
J’en reviens donc à Rousseau, car je dois vous mettre en garde contre les idéalistes qui sont des gens dangereux, simplifiant souvent le monde à leur avantage, sacrifiant tout ce qui va à l’encontre de leur construction mentale, en amour comme dans bien d’autres domaines. La grande capacité d’invention et d’abstraction de l’homme lui permet de voir plus loin autant qu’elle l’aveugle. Les idéaux nous portent, mais nous tendent des pièges. Pas de place pour les plantes cultivées dans notre idée de la nature idéale, pas de scolopendre dans l’arche de Noé… cette biodiversité que nous voulons sauvegarder est déjà tronquée.
Alors, l’idéalisme serait-il une sorte de mensonge réconfortant et au lieu de « Tout le monde ment », le Dr House ne devrait-il pas répéter « Tout le monde se ment » (l’allusion à la philosophie de sitcom n’était pas gratuite) ? Est-ce que tout cela n’entre pas en résonance avec les mots de Jean-Pierre Dupuy disant que l’on « ne parvient pas à croire ce que l’on sait », comme nous le cite Pierre-Henri Gouyon ?
Lorsque vous avez vu ces deux avions percuter les tours jumelles, dans les premières secondes, y avez-vous cru ? Moi non. Et lorsque l’on vous dit que nous sommes à la veille de la 6e crise d’extinction, en toute honnêteté, y croyez-vous vraiment ? ou plutôt… parvenez-vous à le “savoir” ?