Kyrnos Publications

Restons optimistes

Édito

Édito du Numéro 39 (Mars à Mai 2021)

Les coléoptères, maitres du monde ?

Publié le 30 mars 2021

« Chacun de nous, tout éminent qu’il soit, n’est qu’un tube de dix mètres de long à travers laquelle la nourriture circule, la plupart du temps, dans une seule direction.  »

Steve Jobs

Réjouissons-nous, nous n’aurons jamais autant entendu parler de biologie à la télévision ! Tout le monde sait désormais comment fonctionne un vaccin, ce qu’est l’ARN ou comment se répliquent les virus. Il serait possible de se réjouir, en effet, si l’on parvenait un instant à oublier le caravansérail de spécialistes approximatifs, de journalistes trop concis et d’indignés professionnels que cette crise sanitaire a porté sur le devant de la scène. Mais, comme disait le philosophe Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté. » Dans ce malström d’informations contradictoires, anxiogènes, rassurantes ou carrément délirantes, prenons autant de recul qu’il est humainement possible.

Je suis née sous Charles de Gaulle et H3N2. Mais, si l’on se souvient bien de l’un, on a oublié l’autre. La grippe de Hong Kong (encore les Chinois !) a pourtant fait plusieurs millions de morts dans le monde, mais à cette époque on ne les comptait pas comme aujourd’hui : les estimations vont de un à quatre millions. Si j’étais née en 1900 comme mon grand-père, j’aurais traversé la grippe espagnole (H1N1) dont le palmarès est estimé entre 50 et 100 millions de morts et j’aurais considéré avec dédain la “grippette” de Hong Kong. D’autant qu’entre H1N1 et H3N2, la population a doublé, ce qui ridiculise encore son score et explique peut-être le peu de traces qu’elle a laissé dans les esprits. En revanche, ma génération se souvient très bien de l’arrivée du syndrome d’immunodéficience acquise : 32 millions.

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File d’attente à San Francisco pendant l’épidémie de grippe espagnole en 1918. Malgré la présence de l’autorité et l’affiche « Influenza. Wear your mask » on distingue un certain nombre de résistants (cliché H. H. Dobbin).

Les épidémies sont malheureusement des phénomènes “naturels” que l’humanité subit depuis qu’elle est capable de s’en souvenir. Bien entendu, aujourd’hui, elles sont favorisées par l’accélération des échanges mondiaux et l’augmentation faramineuse de la population et son cortège de conséquences : le nombre d’humains sur Terre a plus que doublé entre H3N2 et SARS-CoV-2. Mais, admettons-le, nous sommes moins démunis aujourd’hui devant ce danger. Alors qu’est-ce qui fait que nous ressentons cette épidémie comme une tragédie sans précédent et surtout comme une injustice patente ?

Est-ce de nous rendre compte que nous avons vécu dans un confort dont nous n’avions plus conscience ? Sans doute un peu, mais pas seulement.

Contrairement au Covid, le SIDA ne nous a pas empêchés de nous rapprocher les uns des autres, et même de vraiment nous rapprocher si tant est que nous disposions d’un petit morceau de latex ! On peut comprendre que, pour des pauvres animaux sociaux tels que nous – qui se rappellent le prix de la solidarité surtout dans les moments critiques –, cette pandémie constitue une véritable tragédie.

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La vaccine ou variole de la vache, à laquelle le vaccin doit son nom, a permis à Edward Jenner (parmi d’autres) d’élaborer un vaccin contre la « petite vérole » ou « variole ». On le voit dans cette caricature vaccinant des patients subissant immédiatement des effets secondaires spectaculaires. La variole ne fut éradiquée qu’en 1980 suite à une campagne de vaccination massive commencée en 1958.

Mais surtout, notre ami SARS-CoV-2 nous donne une grande leçon d’humilité. Quelques gènes enrobés d’une coque protéique incapables de se dupliquer sans notre aide seraient à même de mettre à mal les “maitres du monde” ? À force de regarder la nature comme une vache à lait ou un bon copain dans le besoin, nous avons oublié que tout “éminents” que nous soyons, comme le dit si bien le biologiste Steve Jones, nous sommes toujours soumis aux lois de la biologie.

Alors, soyons raisonnablement optimistes, et espérons que cette crise, plus que de nous donner quelques notions d’épidémiologie, nous fera prendre conscience de notre fragilité et des intérêts que nous avons en commun avec l’ascidie, le bousier et le gnou bleu.

Cécile Breton

Journaliste, rédactrice en chef d’Espèces

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Cet édito a été publié dans le Numéro 39 d'Espèces :

Les coléoptères, maitres du monde ?

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