Qu’on la nomme Avalon ou Bora-Bora, l’ile est le territoire du rêve. Mais surtout, on peut y rêver de tout ! Bien sûr, le palmier sur fond turquoise est l’image qui vous vient immédiatement à l’esprit, coincé à La Défense aux heures de pointe. Mais, dès que l’on se penche sur son histoire fantasmée, on découvre que l’ile est le couteau suisse de la fiction. On peut y mettre, au choix, des cannibales, des vahinés lascives, des médecins fous, des dinosaures, des bagnards ou des extraterrestres… car l’important n’est pas tant l’ile elle-même, mais ceux qui s’y trouvent avec vous.
Au cas où vous seriez toujours coincé à La Défense, vous rêvez sans doute de vous y trouver seul ou seulement avec ceux que vous auriez choisi. « Viens, viens mon amour, là-bas ne seraient point ces fous… », chantait Jacques Brel en 1962. Dès le Moyen Âge, on y place le Paradis. Bien avant, en Mésopotamie, c’est Dilmun « vierge de toutes choses, positives ou négatives. Le loup n’emporte pas l’agneau, il n’y a pas de vieillesse ou de maladie. » et, plus tard, elle devient le lieu des sociétés idéales imaginées par Thomas More ou Francis Bacon. Même lorsque l’on y échoue contre sa volonté, elle peut être l’occasion de redécouvrir l’essentiel et le contact avec une nature vierge des perversions de ce monde, mais pas toujours…
La parution du Robinson Crusoé de Daniel Defoe, en 1719, donna naissance à un genre littéraire – les fâcheux diraient sous-genre –, la robinsonnade. Les robinsons de tout poil proliférèrent dès lors aux siècles suivants et jusqu’à aujourd’hui – même si pour s’isoler, ils doivent désormais aller aux confins de la galaxie. Dans le roman original, Robinson est en enfer, accablé de solitude – en 1977, Brel revenait sur sa première impression en chantant « Gémir n’est pas de mise, aux Marquises » – et passe le plus clair de son temps à récupérer les lambeaux de civilisation qui passent à sa portée. Ce sont aussi leurs connaissances des “merveilles de l’industrie” qui sauveront les protagonistes de L’ile mystérieuse, de Jules Verne. Loin de fuir la civilisation, beaucoup de robinsons ne rêvent que de la retrouver. D’autant que l’on peut s’ennuyer ferme sur une ile, si l’on ne s’appelle pas Charles Darwin… La preuve en est que Tom Hanks, dans Seul au monde, en arrive à parler à son ballon de volley.
Égarés par nos rêves de liberté et de solitude, on oublie souvent que les iles font les meilleures prisons. Pour les espèces animales qui y vivent depuis longtemps, elles sont des espaces clos et des caisses de résonance pour la moindre perturbation. Car si l’isolement crée des espèces uniques, les écosystèmes y sont bien moins préparés aux changements. Nous ne pouvons plus sauver le loup des Falkland, mais le monarque de Tahiti et l’iguane marin des Galapagos resteront-ils longtemps au purgatoire, entre paradis et enfer ?