“Nouvelle formule”. C’est la formule consacrée pour désigner un changement de maquette, de contenu, de ligne éditoriale dans ce beau métier qu’est la presse. Pourquoi cette nouvelle formule ? Vous le savez, parce que tout évolue ! Si vous êtes déjà un lecteur assidu ou occasionnel, passé le premier choc, vous vous rendrez vite compte que ce changement n’est que “cosmétique”. Nous avons donné un peu d’air à Espèces avec seize pages de plus, nous avons redessiné ses contours, nous avons facilité l’accès aux glossaires… Même équipe, même ligne éditoriale, même éditeur. Pas de mutation génétique fondamentale et pas de crise d’extinction en vue malgré l’impitoyable sélection “naturelle” qui règne dans les linéaires des kiosques.
Pour ce numéro, et pour ce numéro seulement, je me permets néanmoins une fantaisie : l’éditorial sera sérieux. Mais rassure-toi, lecteur fidèle et tolérant, les éditoriaux absurdes et sans rapport aucun avec le contenu de la revue reviendront dès le prochain numéro.
Tout changement appelle le bilan. Espèces existe depuis 6 ans. Espèces a été créée par une petite association basée en Corse qui publiait une revue de vulgarisation scientifique consacrée à l’ile. Elle est née de la rencontre entre deux populations animales aux écosystèmes et régimes alimentaires très différents, voire incompatibles : celle des scientifiques et celle des journalistes. La première espèce cherche à être au plus près de la vérité (ou du moins d’une vérité), la seconde se nourrit bien mieux du mensonge. Car la vérité n’a pas bonne presse. Parce qu’on a récemment donné aux mensonges le doux nom de “vérités alternatives” (ou de fake news), il semble parfois que l’on redécouvre aujourd’hui cette vérité-là, plus vieille que Gutenberg : la sélection favorise la désinformation. En d’autres termes, le système économique sur lequel repose la presse, aujourd’hui encore plus qu’hier, favorise ceux qui nous parlent 1 : de ce qui nous touche directement (dans l’métier on utilise le joli néologisme de “sujet concernant”) et 2 : de ce qui nous plait ou nous déplait fortement, ce qui nous effraie.
Or, nous ne sommes pas personnellement concernés par l’oryctérope – que peu d’entre nous croiseront un jour – qui ne fait rien ni pour nous plaire, ni pour nous déplaire… pour la simple raison qu’il se soucie très peu de notre existence. Il est, en outre, bien plus difficile de dire des vérités sur un discret animal nocturne et fouisseur que des mensonges sur une célébrité bipède, diurne et avide de publicité.
Si je vous dis, pour finir, qu’Espèces ne vit que de ses ventes et de ses abonnements, pratiquement sans recettes publicitaires et, qu’à l’exception d’une aide du Centre national du livre et d’un laboratoire de recherche, l’IMBE – nous les remercions chaleureusement au passage – elle n’est soutenue par aucune institution, ni publique, ni privée… bref que c’est une véritable publication indépendante, vous conclurez peut-être que, cette fois, je mens. Ou bien vous jetterez votre bulletin d’abonnement à la corbeille estimant que les jours de cette aberration médiatique sont comptés.
Vous auriez tort, dans les deux cas. Ce serait oublier d’abord que vous êtes là, à lire ces lignes, et que pour que vous puissiez les lire, des chercheurs ont trouvé dans Espèces un moyen de diffuser leurs recherches (qui ne font ni plaisir ni peur), et qu’enfin les membres du conseil scientifique, les relecteurs, les auteurs ont, bénévolement, relu, rectifié, proposé des textes…
Je sens quelques esprits chagrins me tapoter sur l’épaule pour me rappeler que je passe sous silence un changement important : le prix. Oui. Le prix a augmenté d’un euro. Avec 8,50 € vous pourriez aussi boire une pression en Islande ou douze cafés en Ukraine, faire deux kilomètres en taxi aux Seychelles ou fumer 20 cigarettes au Canada. Nous ne tentons pas d’influencer vos choix de vie, mais sachez que vous pouvez aussi faire celui de continuer à nous soutenir.