Kyrnos Publications

Méfiez-vous des images

Édito

Édito du Numéro 6 (Décembre 2012 à Février 2013)

Primatologie : apprendre des singes

Publié le 1 décembre 2012

Dans l’ambiance pré-apocalyptique qui baigne le bouclage de ce numéro, nous aurions été curieux de voir monter de la mer la « bête qui avait dix cornes et sept têtes » dont parle saint Jean, ne serait-ce que par intérêt pour l’anatomie d’un animal portant 1,4285714 corne par tête. Contre toute attente, c’est le yéti qui (res)sort du bois. En effet, en cette fin novembre 2012, une vétérinaire texane a lâché une bombe sur la toile : grâce à des analyses ADN (non encore publiées et réalisées sur… quoi ?) elle est parvenue à prouver que non seulement le sasquatch existait bel et bien mais aussi qu’il aurait aggravé son cas en fautant avec des femelles Homo sapiens. En mai, c’était un généticien britannique et un zoologiste suisse qui se lançaient dans l’analyse des “nombreux échantillons” du yéti. On attend de leurs nouvelles.

Après tout, il semble aussi logique qu’Homo sapiens ne soit pas la seule espèce à peupler la terre aujourd’hui, que paraissait évidente à J. C. Nott et R. Gliddon, en 1854, la raison pour laquelle le profil du Noir s’intercale si parfaitement entre celui du chimpanzé (prognathe) et de l’Apollon du Belvédère (rétrognathe). Il n’y a pas de fumée sans feu.

Bien malgré lui, Darwin a rendu l’homme-singe possible, voire probable, et provoqué une chasse frénétique au “chaînon manquant”, frénésie à laquelle on doit l’un des canulars les plus réussis de l’histoire de la paléontologie : l’homme de Piltdown (Homo (Eoanthropus) Dawsoni). Il faudra, en effet, plus de 40 ans pour comprendre que ce crâne n’était qu’un habile assemblage entre une mandibule d’orang-outan et un crâne médiéval humain.

Craniométrie, phrénologie ou ADN, les outils changent, les idées reçues restent, véhiculées par des raccourcis efficaces comme « l’homme descend du singe » et des images simplistes. C’est contre ces images que Stephen Jay Gould nous met particulièrement en garde, évoquant l’illustration des milliers de fois reproduite montrant sapiens (dressé) guidant les autres hominidés (courbés) sur le chemin du progrès. Flattant notre ego, encourageant notre paresse à la réflexion, les images s’incrustent définitivement dans notre imaginaire.

On peut légitimement espérer que l’homme entre le Grec et l’animal figurant sur cette planche a définitivement disparu de l’esprit de la plupart d’entre nous ; mais, comme le souligne Frédéric Joulian, nous comparons encore hommes et singes en distribuant les bons et les mauvais points. Ne cherchons pas seulement chez les singes ce qu’ils peuvent nous apprendre de nous.

Il y a dans le mythe de l’homme-singe un peu de sur-homme (grand et fort) et un peu de sous-homme (à l’esprit lent). Cet incontournable de la cryptozoologie incarne notre idée de l’animalité. C’est pourquoi la réapparition de l’indestructible icône du yéti, paré de justifications génétiques, est si inquiétante.

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L’échelle des races humaines selon Nott et Gliddon dans Types of Manking (1854). Pour S. J. Gould, qui reproduit cette planche dans La mal-mesure de l’homme, le crâne du chimpanzé a été volontairement augmenté et la mâchoire du Noir allongée.

Cécile Breton

Journaliste, rédactrice en chef d’Espèces

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Cet édito a été publié dans le Numéro 6 d'Espèces :

Primatologie : apprendre des singes

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