Combien de milliards d’années d’évolution, combien de solutions testées, abandonnées puis réadoptées, pour aboutir à ce résultat merveilleux, l’œil. Tout cela pour être utilisé, bien malgré lui, dans la rhétorique créationniste, car l’œil est par excellence l’organe “vraiment trop bien foutu pour qu’il se soit fabriqué tout seul”.
La relativité de la perception est une question fascinante, et j’étais bien loin de penser à eux en commençant cet édito… j’observais mon chien.
L’environnement sensoriel d’un être varie en fonction de sa “mécanique”, de ce qu’il est capable de percevoir par ses sens, et de sa subjectivité, la façon dont il l’interprète, lui donne un sens, en fonction de son mode de vie et de son expérience.
Il y a déjà beaucoup d’étapes, et donc une grande marge d’erreur, entre le moment où une onde lumineuse frappe la matière et la sensation que j’ai de la forme et de la couleur de ce qu’elle compose. Cela se complique encore, car les sens interagissent entre eux : je vois en fonction de ce que je sais mais aussi de ce que je sens ou touche. Avec les mêmes outils, chaque Homo sapiens perçoit sans doute un monde différent. Et ces différences se creusent si l’on change de culture… alors comment avoir la moindre idée de l’umwelt d’une autre espèce si je suis incapable de distinguer les couleurs qu’un Inuit verra sur la neige ? À ceux qui s’impatientent de rencontrer des extraterrestres et avant d’aborder un Vulcain, faites comme moi, entraînez-vous avec votre chien.
Il s’arrête net. Il souffle par ses narines ou même lèche le sol, c’est pour lui un moyen de sentir mieux. Un monde invisible, plein d’histoires de lapins et de hérissons (à ce que j’imagine), les traces d’un passé, d’une vie qui m’échappe. Je suis bien aise de percevoir un plus large spectre lumineux que lui (même si cela ne me renseigne que sur le présent), mais mon champ de vision est plus réduit, je ne vois pas la nuit, je n’entends pas les ultrasons…
La question n’est pas de se demander quel monde, du sien ou du mien, est le plus riche d’informations ou le plus proche de la réalité, puisque nous n’avons chacun accès qu’à ce qui nous est utile (il a peur des lapins, pas moi). Mais devant l’immense diversité des perceptions développées par le vivant, s’interroger sur ce que nous appelons le “réel” donne le vertige.
C’est à ce point de ma réflexion que je m’en vais taper “subjectivité de la perception” sur la toile, prête au pire. J’échoue rapidement sur un site qui, au premier coup d’œil – justement –, n’a rien d’alarmant, hormis une iconographie au vague goût de déjà-vu et quelques fautes d’orthographe. Pourtant, malgré les jolies vues en coupe d’yeux et de nez, l’auteur parvenait à la conclusion que, puisque la boîte crânienne était hermétiquement close, il était impossible que la lumière parvienne au cerveau. Sidérée par autant de bon sens (c’est vrai quoi, il fait noir là-dedans !) j’ai cherché le nom de l’auteur : Harun Yahya, l’homme à qui Dieu sert (entre autres) d’interrupteur.