« On a le sentiment qu’au ministère il y a des gens qui n’ont qu’une connaissance superficielle de la science et qui en sont restés à une vision des sciences naturelles des années cinquante. Mais aujourd’hui, les SVT, ce n’est plus la chasse aux papillons ! »
Serge Lacassie, président de l’Association des professeurs de biologie et de géologie
(Interview du 19 avril 2018, Sciences et Avenir)
Au siècle dernier, au lycée, j’avais un prof de bio très sympa, si sympa qu’il avait été surnommé “Nounours”. Je me souviens très bien de ce monsieur au visage poupin barré d’une moustache et de ses éternels pantalons de velours côtelé maculés de craie. La peine bienveillante qu’il prenait à nous expliquer la méiose (et le maigre coefficient de sa discipline au BAC) lui évitait nos moqueries. Notre souffre-douleur, c’était la prof d’éco, dite “la belette”.
Je m’interroge aujourd’hui sur la fréquence des références zoologiques dans les sobriquets de mes professeurs, tout autant que sur mon manque d’intérêt pour l’enseignement des sciences de la vie et de la Terre. J’ai toujours aimé les sciences et les bêtes, mais, à cette époque, ma passion pour le dessin surpassait en force toutes les autres. Je m’adonnais donc sans retenue à ce vice qui avait le double avantage de faire passer plus rapidement les heures de cours tout en m’assurant une certaine notoriété. « Dessine-moi Nounours ! ».
Je dois néanmoins constater – sans pouvoir l’expliquer – que mon cerveau d’Homo sapiens juvénile ne percevait pas l’évidence du lien existant entre les SVT et les animaux. Ou peut-être avais-je de la peine à m’identifier à un type en veste à poches, battant la campagne moustache au vent, ponctuant sa course folle d’arrêts intempestifs pour observer, l’œil humide d’émotion, une bestiole sans intérêt…
Est-ce cette image d’Épinal qui masque à nos dirigeants d’aujourd’hui – pourtant sortis depuis longtemps de l’adolescence – le rapport criant qui relie les questions environnementales aux SVT ? Le moustachu est-il responsable de la quasi-absence des SVT dans le nouveau programme de nos lycéens ? Pas seulement. Car l’image de ces disciplines subit une double peine : non seulement elles seraient pratiquées par des professeurs Tournesol, mais, en plus, ce sont des sciences. Et la France est une patrie de lettrés : les intellectuels français sont philosophes, sociologues, historiens… ils ne dissèquent pas de grenouilles !
Alors place aux “humanités” ! Les ouragans peuvent dévaster les continents, les oiseaux disparaitre et les poubelles s’accumuler… qu’importe ! Seule l’étude de nous-mêmes nous sauvera de l’orage à venir.
Autre nouvelle inquiétante, dans le chaos des nouveaux programmes émerge une discipline énigmatique : il ne s’agit plus des sciences humaines, mais des “humanités numériques et scientifiques” qui, selon le ministère de l’Éducation nationale, donneront « à tous les lycéens les connaissances indispensables pour vivre et agir dans le xxie siècle en approfondissant les compétences numériques de l’élève ainsi que sa compréhension des grandes transformations scientifiques et technologiques de notre temps (bioéthique, transition écologique, etc.) » Si certains y voient une dernière chance d’y enseigner un soupçon de sciences naturelles, d’autres, dont je suis, y voient surtout une méconnaissance de l’objet des sciences et une nouvelle façon de nous replacer au centre de l’univers, au-dessus de la mêlée animale.
Mais quel mode de pensée prépare le mieux à affronter les mutations techniques et idéologiques de demain si ce n’est ce que l’on appelle la “méthode scientifique” ? C’est bien elle qui nous apprend à regarder les choses en face, à nous méfier de nous-même et à vérifier les informations que nous recevons. Est-ce que quelques bases en biologie ne seraient pas salutaires pour discerner ce qui est profitable à notre santé ? Combien faudra-t-il d’alertes sur l’effondrement de la biodiversité pour qu’enfin on comprenne que la science n’est pas l’ennemi, pas plus que le médecin n’est l’ennemi du patient auquel il diagnostique une maladie. Est-ce que l’on confondra encore et toujours les sciences et ce que l’on en fait : des techniques ?
Face à l’urgence de la situation je propose donc, solennellement, de revoir radicalement la phylogénie et de faire des sciences humaines une sous-catégorie des sciences de la vie puisque nous ne sommes qu’une sous-catégorie du vivant. C.Q.F.D.
Mais, pour l’instant, enfilons notre veste à poches et lissons notre moustache pour nous livrer sans remords et sans complexe à une activité tout aussi inutile que le dessin et aussi salissante que la dissection des grenouilles : l’étude d’animaux morts depuis très longtemps, de phénomènes climatiques qui ne nous menacent plus et d’iles devenues montagnes. Bien conscients que les SVT, “ça sert à rien” puisque ce qui est arrivé hier n’est d’aucun enseignement sur ce que nous réserve l’avenir.