Kyrnos Publications

Les déserts n’existent pas

Édito

Édito du Numéro 7 (Mars à Mai 2013)

Vivre dans les déserts

Publié le 1 mars 2013

Le désert est fertile… du moins dans notre langue, comme dans beaucoup de cultures, il est symboliquement fertile.

Au sens étymologique du terme, le désert est le lieu déserté des hommes. Les chrétiens – qui ne se sont jamais illustrés par leur sens de l’optimisme – y voient l’habitat de prédilection des démons, un univers livré à lui-même où personne ne se risque (pas même Dieu). D’autres chrétiens – qui se sont illustrés par leur sens de la contradiction – y sont pourtant partis chercher le Dieu qu’ils ne trouvaient pas dans “le monde”, c’est-à-dire là où vivent la majorité de leurs semblables. Le Christ comme saint Antoine en firent les frais.

De tout temps, on trouve dans le désert tous ceux qui vivent, volontairement ou non, aux marges du monde des vivants, qu’ils soient nomades, brigands ou anachorètes. Car le désert est, par excellence, cet “envers du monde”, ce lieu où l’on risque autant de trouver des réponses que la mort (ceci expliquant peut-être cela).

Dans l’imaginaire médiéval, les forêts étaient donc aussi des déserts et il suffisait alors d’atteindre la forêt d’Orléans pour “aller au désert”. Pour la géographie, c’est une terre stérile, peu propice à la vie et à l’aridité maximale… qu’elle soit occupée ou non. Les infinies forêts de la Russie, les chaos volcaniques de l’Islande ou les glaces de l’Antarctique ne sont plus des déserts.

L’absence de vie est donc la seule chose qui réunit ces deux sens, et pourtant c’est bien la vie que les scientifiques partent chercher dans les déserts aujourd’hui, précisément là où manque tout ce qui lui est indispensable. Sans doute parce que cette vie, qui a colonisé les lieux qui ont su résister à l’emprise de l’homme, a quelque chose de plus miraculeux encore que les démons ou les dieux.

La première fois que j’ai rencontré un désert, c’était le Hoggar, dans le sud algérien, et je n’avais alors cumulé qu’une quinzaine d’années de vie. Le Hoggar ne ressemble pas à un désert, du moins pas à celui que dessine Saint-Exupéry dans son Petit prince. Pas de dunes, pas de renard non plus. Moins encore de dieux ou de diables. C’est un désert de pierres, çà et là parsemé de grands hommes bleus et de dromadaires blancs, où toute rencontre est une fête, tout semblable, qu’il soit blanc, noir ou bleu, un frère… parce que toute vie y est plus précieuse qu’ailleurs.

Saint Antoine étudiant des formes disparues de (très) grands branchiopodes (Martin Schongauer, 1470).
Saint Antoine étudiant des formes disparues de (très) grands branchiopodes (Martin Schongauer, 1470).

Cécile Breton

Journaliste, rédactrice en chef d’Espèces

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Cet édito a été publié dans le Numéro 7 d'Espèces :

Vivre dans les déserts

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