Kyrnos Publications

La radioactivité c’est bon, mangez-en

Édito

Édito du Numéro 10 (Décembre 2013 à Février 2014)

Japon : désastres et merveilles

Publié le 1 décembre 2013

En 1933 le docteur Alfred Curie, bien que n’ayant aucun lien de parenté avec Marie, a su profiter de cette heureuse homonymie pour lancer une crème de beauté révolutionnaire : Tho-radia. Bénéficiant des plus récentes avancées de la physique, elle devait rendre la femme des années folles encore plus belle. Le bon docteur avait en effet développé une formule unique… à base de radium et de thorium. En 1939 le projet Manhattan et lancé et, en 1945, il suffit que 700  g d’uranium 235 entre en fission (sur les 64  kg embarqués par Little Boy) pour que deux villes japonaises soient rayées de la carte mais restent à tout jamais dans les mémoires. Le 15  décembre 1948, le cœur gonflé d’honnête fierté nationale, le président Vincent Auriol inaugure le premier réacteur nucléaire français : la pile Zoé (Z comme zéro, O comme oxyde d’uranium et E comme eau lourde) mise au point par Frédéric Joliot-Curie, alors directeur du CEA. Vingt ans plus tard Françoise et Jacques Breton qui avaient un temps envisagé de donner ce joli prénom à leur dernière née, se ravisent… la crème Tho-radia vient à peine de disparaître des rayonnages des parfumeurs.

Il aura fallu à peine plus de trente ans pour passer de la radioactivité qui soigne à celle qui tue. Vingt ans de plus pour que le nucléaire symbolise définitivement, dans l’esprit de tous, la version moderne de la punition prométhéenne. En 1986 c’est l’Ukraine puis, en 2011, encore le Japon.

La radioactivité, ce n’est pas bon pour la vie et pourtant, c’est un phénomène naturel. Le ciel, la terre, l’eau et la nourriture “irradient” en permanence, si bien que l’activité même de chaque kilo d’être humain se chiffre à 120 becquerels. C’est grâce à la période du radio-isotope 14C que les archéologues pourront dater vos restes dans quelques milliers d’années et c’est aussi grâce à la radiothérapie que les médecins reculeront peut-être l’échéance à laquelle vous commencerez à intéresser les archéologues. Ni bon ni mauvais comme tous les phénomènes naturels, le nœud du problème se situe évidemment dans l’usage que l’on en fait et dans quelle mesure on en fait usage.

Tho-radia est un exemple historique édifiant qui résonne toujours aujourd’hui. Marie Curie croulait déjà sous les sollicitations multiples de vendeurs de crèmes, de sodas, de pâtes alimentaires ou de dentifrices radioactifs qui souhaitaient utiliser son nom pour distribuer au plus grand nombre ce qui était en train de la tuer. Certains médecins avaient lancé l’alerte dès les années vingt et pourtant ce n’est qu’en 1937 que ces produits sont inscrits au tableau A de l’ordre des pharmaciens. Pour éviter d’avoir à porter l’étiquette rouge frappée de la mention “poison”, la crème miraculeuse change de composition sans changer de nom. Soulignons au passage que l’étymologie du mot cosmétique est : “qui ne modifie pas en profondeur”

La recette qui consiste à détourner ou simplifier les découvertes scientifiques à des fins marketing en s’appuyant sur notre peur de la maladie ou de la vieillesse est toujours aussi rentable. Peut-être l’est-elle même de plus en plus si l’on en croit la multiplication des types en blouse blanche qui, dans les médias, nous vendent une vie meilleure. Le langage de la recherche, avec sa complexité et ses “conditionnels”, est bien moins efficace que les affirmations péremptoires de la “réclame”, c’est pourquoi nous avons besoin tant besoin de revues de bonne vulgarisation !

Cécile Breton

Journaliste, rédactrice en chef d’Espèces

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Cet édito a été publié dans le Numéro 10 d'Espèces :

Japon : désastres et merveilles

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