Au XIXe siècle, on distinguait quatre classes de vertébrés : poissons, reptiles-amphibiens, oiseaux et mammifères. Il s’en est fallu de peu pour que n’en naisse une cinquième. Après moult tergiversations et débats houleux avec Henri Ducrotay de Blainville, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire a envisagé de se débarrasser ainsi de l’encombrant ornithorynque qui ne semblait exister que pour ôter le sommeil aux taxinomistes.
En effet, après avoir longtemps cherché les coutures sur le spécimen expédié en 1789 par le gouverneur de la colonie pénitentiaire de Nouvelle-Galles du Sud, le naturaliste George Shaw, du British Museum, doit se rendre à l’évidence, il ne s’agit pas d’une mauvaise blague de taxidermiste. Pour enfoncer le clou, on découvre en 1827 que cette loutre à bec de canard pond des œufs. Je passe sur l’effet produit par la découverte de ses trop nombreuses caractéristiques étranges car l’ornithorynque cumule, outre une orthographe impossible, des articulations reptiliennes, la capacité de repérer le champ électrique émis par ses proies ou de produire du venin… Les créationnistes avec leur “crocoduck” ont fait preuve de bien peu d’imagination… et ce n’est pourtant pas la moindre de leurs compétences !
De guerre lasse, on le réintègre donc dans la classe des mammifères, qui n’exclut donc plus aussi strictement les ovipares. Aristote les avait définis par le nombre de pattes, la présence de poils et la viviparité, Linné – à cause des chauves-souris et des cétacés – avait après lui évacué les poils. Bref, avec le temps, les caractères facilement identifiables communs à l’ensemble des mammifères se sont réduits comme peau de chagrin et, aujourd’hui, nous serions bien en peine d’expliquer à un extraterrestre par quel moyen rapide et visible on peut reconnaître ce que nous appelons un mammifère.
De toutes les tailles, arborant poils, écailles, piquants, plaquettes, vivant dans les mers, les eaux douces, sur ou sous terre, les mammifères constituent un groupe monophylétique qui s’est diversifié rapidement mais dont près de 80 % des genres n’est connu que sous la forme fossile.
Aveuglée par la fascination qu’exerce sur moi l’ornithorynque, j’ai longtemps cru qu’il avait été définitivement expulsé du club des mammifères. Symbolisant si bien ces “choses inclassables ailleurs” chères à Boris Vian, il nous rappelle sans cesse que l’immense diversité du vivant nous surprendra toujours et que nos tiroirs, ne sont que des tiroirs…