Des coquilles de bivalves au sommet des montagnes, des crânes de cyclopes dans la toundra, des vertèbres géantes qui sortent de terre… Il y a eu, depuis l’Antiquité, autant de tentatives d’explication à ces mystères qu’il y a eu de naturalistes. Les fossiles naissent-ils par génération spontanée ? Sont-ils des images d’organismes gravées dans la pierre par des rayons cosmiques ? Le Déluge est une explication toute trouvée à l’existence d’organismes marins montagnards, mais certains remarquent, dès le Moyen Âge, qu’ils n’ont pas d’équivalent dans le monde vivant connu. Bernard Palissy se risque à avancer que « leur genre s’est perdu », mais le problème est vite réglé par le bûcher. Comment ? Noé aurait-il été partial dans son inventaire et Dieu ainsi “rectifié” sa création, emportant, dans sa colère contre l’homme, les moules avec les pêcheurs ? On découvre d’ailleurs, en 1726, l’un de ces pêcheurs : l’Homo diluvii testis, l’homme témoin du Déluge, mais Cuvier va jouer les trouble-fête en identifiant une (grande) salamandre.
C’est bien à Cuvier que l’on doit cette prise de conscience : des bêtes ont existé, qui n’existent plus. Mais, jusqu’ici, celles-ci sont relativement “acceptables”, même si elles ne sont pas vraiment des salamandres, pas vraiment des éléphants, et que le débat faire rage entre Lamarck et Cuvier, entre transformisme et fixisme pour expliquer ce prodige.
Au XIXe siècle, peu à peu, les découvertes de bêtes plus monstrueuses les unes que les autres se multiplient et on renonce à faire rentrer “au chausse-pied” ces animaux fossiles dans les catégories existantes. Il faut se rendre à l’évidence, ces bêtes sont très éloignées du monde du connu. On se jette alors à corps perdu dans la réinterprétation de toutes les vertèbres de géants et de serpents de mer qui dorment dans les collections des muséums d’Europe… Il faudra attendre 1842 pour que Richard Owen invente le terme de “Dinosauria”, dont l’étymologie, terribles lézards, en dit long sur la fascination qu’ils sont destinés à exercer sur nous jusqu’à nos jours.
Il a fallu des centaines d’années d’un cheminement intellectuel long et douloureux pour admettre que la fin de la vie – contre laquelle l’humanité se débat à grand renfort de religion et de philosophie depuis des millénaires –, s’applique non seulement aux individus, mais aussi à des espèces entières ; pas seulement à quelques insignifiants coquillages, mais à de terrifiants prédateurs, à des mastodontes hérissés de cornes et carapaçonnés comme des chars d’assaut, dont la puissance et les dimensions obligent à rebâtir les muséums autour d’eux. Alors, le premier coup de matraque assené par Darwin à l’humanité en la replaçant au sein du monde animal prend – en a-t-il eu conscience ? – une autre ampleur : il pèse désormais sur nous cette inacceptable menace, l’éventualité de la fin de notre espèce. On dirait que la paléontologie s’acharne à tenter de rendre l’homme modeste… sans grand succès, il est vrai.
Mais on aurait tort de ne voir qu’un avertissement dans ces immenses architectures de pierre se déployant sous les verrières de nos muséums. Les dinosaures ont aussi la vertu de nous faire rêver d’un fabuleux monde perdu et de donner une vie aux dragons des légendes, bêtes hier fabuleuses mais aujourd’hui bien réelles. On ne peut que leur rendre hommage pour les générations d’enfants qui, attirés par le mythe, se sont passionnées pour une science : la paléontologie.