Kyrnos Publications

Cher professeur

Édito

Édito du Numéro 45 (Septembre à Novembre 2022)

La paléontologie a 200 ans !

Publié le 30 septembre 2022

C’est par ce “cher professeur” que je m’adressais toujours à lui. Je crois qu’il aimait autant que moi cette marque de respect un peu désuète qui nous ramenait au temps des savants en col dur… et qu’il recevait toujours avec une pointe d’autodérision.

On a sans doute déjà tout dit et tout écrit sur Yves Coppens depuis la nouvelle de son décès, le 22 juin dernier. Membre d’une bonne dizaine d’académies (dont celle des sciences et celle de médecine), parrain (d’Espèces, entre autres), conseiller, Honorary fellow, Foreign associate, correspondant ou préfacier, omniprésent dans la presse et à la radio, le professeur était toujours une bénédiction pour les journalistes.

Tout le monde connait la carrière d’Yves Coppens même si sa chère “Lucy”, malgré sa petite taille, a pu masquer les nombreux autres travaux qui ont émaillé sa longue carrière. Je ne suis pas assez érudite pour les rappeler, je ne suis qu’un des millions de “péquins moyens” qu’Yves Coppens a fait rêver et emmenés jusqu’au fin fond des âges.

C’est pourquoi j’aimerais parler de ce que je sais de lui, du petit bout de ma lorgnette, loin des académies et des honneurs internationaux, puisque j’ai eu la chance de le rencontrer à l’aube de ce siècle. 

Rencontre au sommet entre Yves Coppens et Gilles Boeuf, sur une question brulante dans le numéro 1 d’Espèces, juin 2011.

Il avait alors accepté de présider un festival d’image de synthèse et d’archéologie qui n’eut qu’une seule édition, dans un lieu qui n’existe plus aujourd’hui. Il s’est ensuite, en 2005, penché sur le berceau de la première revue que j’ai lancée, Stantari, consacrée à l’histoire naturelle mais aussi culturelle de la Corse. Ce qui aurait pu être un calvaire pour tout autre que lui commençait : plusieurs conférences dans de petites salles (pleines à craquer), d’interminables discours d’élus, des visites en plein soleil chez les producteurs locaux et même un tour en ULM pendulaire, l’aéronef le plus casse-gueule jamais inventé… À ces évènements – dont l’organisation approximative était à la mesure du peu de moyens dont je disposais –, le cher professeur prêtait toujours son concours avec une immense gentillesse et une patience infinie.

Je ne suis pas en train de vous dire qu’Yves Coppens était le plus effacé et le plus modeste des hommes – par son savoir, son intelligence et son humour il était nécessairement flamboyant –, mais je suis convaincue qu’il était avant tout un humaniste. Pour partager ses connaissances avec autant d’humour et de plaisir, il faut aimer les gens, les estimer, les comprendre et Yves Coppens était curieux de tout et de tout le monde… il nous faisait nous sentir, vulgaires Homo sapiens, aussi dignes d’intérêt que d’autres espèces, aussi disparues soient-elles.

Il était présent dès la page 14 du premier numéro d’Espèces qu’il a soutenu sans conditions, comme d’autres nombreuses initiatives qui lui survivront. 

Et, parce qu’il m’avait dit un jour apprécier mes éditos – j’ai encore du mal à m’en remettre –, il est à mes côtés chaque fois que je m’abandonne à ce moment de plaisir et de liberté qu’est la rédaction d’un éditorial et continuera à l’envelopper de sa présence bienveillante et malicieuse.

C’est donc à l’heure où la paléontologie fête son bicentenaire qu’il choisit de nous quitter pour rejoindre d’autres professeurs au panthéon de la paléoanthropologie. Cette science, qui nous parle de nous, perd celui qui savait si bien nous parler… mais pas tout ce qu’il nous a donné.

Veuillez agréer, cher professeur, l’expression de ma plus profonde, reconnaissante et fidèle amitié…

Cécile Breton

Journaliste, rédactrice en chef d’Espèces

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Cet édito a été publié dans le Numéro 45 d'Espèces :

La paléontologie a 200 ans !

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