« Les scénarios de l’hominisation sont marqués par une ambiguïté paradoxale : bien qu’ils soient tous différents les uns des autres, leur lecture laisse curieusement une impression de grande monotonie. »
Wiktor Stoczkowski,
Anthropologie naïve, anthropologie savante, 2001
La filiation de l’homme avec les primates, après avoir porté un bon coup au moral de l’humanité, a subi plusieurs glissements dans son interprétation. De brutes velues nous sommes devenus… d’autres brutes velues, oui, mais méritantes. À savoir que, si l’on se réjouissait au XIXe siècle que la civilisation nous ait si bien et si vite éloignés de cette animalité insupportable, la plupart des interprétations encore en cours – j’en ai encore eu un exemple dans un mauvais documentaire récent – nous présentent comme des animaux sans dents et sans griffes, “mal adaptés”, vulnérables et voués à l’extinction. On s’autocongratule donc de cette extraordinaire volonté qui a mené les petits singes nus que nous sommes à inventer autant Facebook que les thérapies géniques. Nous serions donc une sorte de “self-made” espèce de l’évolution.
Est-il utile de rappeler ici que beaucoup d’espèces n’ont ni griffes, ni dents, mais qu’elles s’en sortent tout de même très bien ? En outre, la notion de “mauvaise adaptation” est une absurdité en soi. Pour les plus radicaux, le fait que nous soyons les seuls représentants actuels du genre Homo, prouve une fois encore que nous avons quelque chose – de positif ou de négatif selon leur bord – en plus. C’est oublier aussi qu’il existe d’autres espèces dont le genre est monospécifique et qui n’ont rien à se reprocher : on ne peut pas les accuser d’avoir volontairement éliminé la concurrence.
Ceci s’applique à l’hominisation mais aussi à toute l’histoire culturelle et naturelle de l’humanité. Nous avons bien du mal à nous libérer de nos mythes fondateurs. C’est ce que nous dit W. Stoczkowski dans sa brillante analyse critique des différents scénarios scientifiques de l’hominisation ; leur structure nous ramène toujours à la même histoire : l’homme, chassé du paradis, se retrouve démuni face à une nature hostile. Dans cette “bulle conceptuelle”, le Néolithique, avec ce qu’il apporte de sécurité, apparait comme un soulagement.
Mais, alors que nous nous réveillons aujourd’hui de notre euphorie progressiste avec la gueule de bois, nous percevons cette période des débuts de l’agriculture et de l’élevage à la fois avec une sorte de nostalgie et comme l’antichambre de notre perte.
Faut-il revenir en arrière ? Et à quel moment de notre évolution ? Lorsque nous étions des chasseurs-cueilleurs ou bien quand nous vivions d’une agriculture modeste et “durable”, encore en “connexion” avec la nature ? Même si c’était possible, il serait illusoire de penser qu’une civilisation est plus ou moins “naturelle” qu’une autre. Il n’y a pas de bouton d’arrêt d’urgence à l’évolution, qu’elle soit culturelle ou naturelle… si tant est que l’on doive les distinguer ! Nous n’avons d’autre choix que d’avancer en laissant de côté les mythes du passé pour inventer “autre chose”.