« Les biologistes souffrent de paranoïa, d’ambition frustrée, d’angoisse à propos de leur vie sexuelle, d’un manque d’espèces sonnantes et trébuchantes et de tous les autres maux qui accablent l’humanité. Mais ils ne s’ennuient jamais. »
Martin Wells, Civilization and the limpet, 1998
Alors que je m’apprête à remplir un formulaire qui, peut-être, nous permettra d’obtenir quelques subsides, voilà que le doute m’assaille (il pourrait m’étreindre mais je n’aime pas les familiarités). En substance, on me demande en quoi les actions de notre association sont utiles. Même si Kyrnos publications, notre éditeur, organise parfois des conférences quand ses finances le lui permettent, ses forces vives sont essentiellement occupées par la publication de 400 pages annuelles pleines de vulgarisation scientifique.
On a rarement l’occasion de prendre un peu recul sur ce que l’on fait et sur ce qui nous y a mené, ces convictions qui semblent frappées du sceau de l’évidence. Bien entendu, il est utile d’essaimer les connaissances scientifiques vers le plus grand nombre. Qui dirait le contraire ? à part – et même si je m’étais juré de ne pas parler de lui – Donald Trump ?
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Dans l’absolu, mieux connaitre le monde qui nous entoure nous rend plus lucides, nous protège des mensonges de ceux qui souhaiteraient nous faire acheter leurs produits frelatés, nous faire voter pour de mauvaises raisons. Mais, à notre échelle, est-ce que “ça marche” ? Les gens seront-ils plus heureux, plus tolérants, vivront-ils plus vieux lorsqu’ils auront appris que de nombreuses plantes à fleurs sont polyploïdes ? Personnellement j’ai vécu assez bien, et très longtemps, sans le savoir. Je dirais même que, socialement parlant, certaines connaissances acquises m’ont parfois porté préjudice. Le savoir n’a pas toujours bonne presse : le terme même de “savoir” et son cortège de “sachants” sont un peu ronflants… et c’est un symptôme. Prenons un exemple de savoir (et non de savoir-faire, dont l’utilité n’est pas à prouver) : vous aimez la musique élisabéthaine, vous collectionnez les étiquettes de boites de fromage ou bien vous vous passionnez pour le hockey sur glace (voire les trois à la fois). Quel que soit le sujet vous avez donc des connaissances que les autres n’ont pas et si, au détour d’une conversation banale, vous faites benoitement allusion à Henry Purcell, Benjamin Rabier ou Wayne Gretzky les réactions peuvent être très diverses en fonction du cadre socioculturel dans lequel vous vous trouvez… sachez que vous pouvez passer pour un intellectuel snob dans les trois cas (même si Purcell représente le plus de risque). L’avantage des passions scientifiques c’est que, si vous commettez la même erreur, au pire, on vous prendra pour un geek.
Et pourtant, la biologie nous apprend la mécanique du vivant, notre filiation, pourquoi l’on vit et pourquoi l’on meurt, qu’il n’y a pas d’animaux bons ou mauvais, que nous sommes nous-mêmes à la fois des animaux et des écosystèmes, que les peuples se sont hybridés depuis toujours, que nous avons le choix d’agir pour le bien de l’environnement… finalement, elle nous rend un peu meilleurs mais pas seulement ! Elle vous permettra aussi de faire des blagues sur la polyploïdie des plantes et de découvrir que certains de vos amis les comprennent et, surtout, comme le dit si bien Martin Wells, professeur de biologie à Cambridge, de ne jamais vous ennuyer.
Mais dois-je l’indiquer dans le Cerfa ?