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L'oiseau et le berceau de l'agriculture

• 2012/numéro 4 - Juin 2012 : Les poissons frugivores de l'Amazone

Pour que leur parade nuptiale soit bien visible par les femelles de leur espèce, les mâles de certains oiseaux de forêt aménagent un espace dégagé au niveau du sol. Chez certains paradisiers (famille des Paradisaeidae) l’existence d’une telle aire de parade permet une bonne mise en valeur de l’extraordinaire plumage des mâles. Les femelles sélectionnent leurs partenaires sur la base de ces traits en apparence aberrants qui serviraient de marqueurs de la « qualité » des mâles en tant que géniteurs.
Proches cousins des paradisiers, les oiseaux à berceau d’Australie et de Nouvelle-Guinée (famille des Ptilonorhynchidae), présentent des mâles au plumage incomparablement plus discret. Ces derniers ont par contre pour habitude de décorer leur aire de parade ou encore de bâtir, à proximité immédiate de celle-ci, des structures fort voyantes appelées « berceaux ». Le terme est assez inapproprié, ces constructions n’étant d’aucune utilité dans l’élevage des jeunes.
Après l’accouplement qui prend place sur l’aire de parade, la femelle fécondée va pondre plus loin, dans un nid qu’elle aménage seule. Le berceau sert quant à lui à attirer les femelles qui semble-t-il choisissent un mâle en fonction de la « qualité » de sa construction. Cette dernière, véritable « ornement sexuel externe », joue donc chez les oiseaux à berceau mâles, un rôle équivalent à celui du plumage extravagant des paradisiers de même sexe. Les berceaux présentent une architecture très variable d’une espèce à l’autre.

Un mâle de jardinier maculé Chlamydera maculata devant son berceau (Wikimedia Commons)

Chez certaines d’entre elles, à l’instar du jardinier maculé (Chlamydera maculata), les mâles édifient des « berceaux-allées » constitués de deux rangées de brindilles verticales qui délimitent un couloir débouchant sur une esplanade de parade. Comme tous les oiseaux à berceau, les mâles de cette espèce australienne décorent leur construction à l’aide de divers objets colorés sélectionnés dans leur environnement, dont des fruits de diverses plantes. Dans une étude réalisée en Australie dans le Taunton National Park (État du Queensland) et publiée récemment dans Current Biology, Joah Madden de l’Université d’Exeter (Grande-Bretagne) et ses collaborateurs allemands et australiens ont montré que chez le jardinier maculé le comportement décorateur du mâle avait des conséquences tout à fait inattendues. Notre oiseau affectionne tout particulièrement les fruits de la Solanaceae Solanum ellipticum, aussi connue sous le nom courant de « potatoe bush« , qu’il dispose bien en évidence, au centre de l’allée de son berceau.
Lorsqu’un mâle installe un berceau sur un site, il ne le choisit pas en fonction de la présence – à proximité de ce dernier – de la plante qui fournit ses décorations préférées: on ne trouve pas plus de Solanum ellipticum à cet endroit que dans n’importe quelle partie du sous-bois.

Par contre, sur les sites occupés depuis plus d’un an par un mâle – ces derniers pouvant entretenir le même berceau pendant 10 ans, les plants de Solanum sont présents voir abondants. Les chercheurs ont vite compris que le mâle du – pour le coup bien nommé – jardinier n’étaient pas étrangers à l’affaire. En effet, ceux-ci décorent leur berceau uniquement avec des fruits frais qu’ils ont cueillis avec leur bec et éliminent ceux-ci dès qu’ils commencent à se flétrir. Ils les évacuent à proximité du berceau, sur une zone qu’ils ont éclaircie sans doute pour que ce dernier apparaisse bien en évidence aux femelles. Les graines des fruits mises à l’écart finissent par germer et des plants de Solanum se développent dans les alentours immédiats du berceau. Avec le temps, le jardinier maculé constitue donc une véritable source de décorations fraîches à proximité de son berceau. Ceci lui évite de passer du temps à la recherche de fruits de Solanum loin de sa construction et limite ainsi les risques – courants chez de nombreuses espèces d’oiseaux à berceaux – de se faire subtiliser des éléments décoratifs par des mâles compétiteurs et kleptoparasites.

Video : Une parade d’un mâle à proximité de son berceau, chez une espèce voisine, le jardinier à nuque rose Chlamydera nuchalis
Un mâle de jardinier maculé Chlamydera maculata (cliché Tom Tarrant/Wikimedia Commons).
Les fruits de Solanum ellipticum (« potatoe bush » ou « bush tomatoe« )(Wikimedia Commons).

La plante quant à elle bénéficie d’un disséminateur qui dépose les fruits sur des zones favorables à la germination de ses graines et propices à sa croissance. Comme l’oiseau choisit des fruits qui ont des propriétés visuelles très attractives pour les femelles, il opère une véritable sélection en favorisant les plantes qui sont à même d’en produire. Joah Madden et ses collaborateurs considèrent que le jardinier maculé « cultive » la plante qui lui fournit les fruits décoratifs de son berceau. Le terme n’est pas excessif : on a véritablement ici une association étroite entre un oiseau disperseur de graines qui tire avantage de l’abondance de ces dernières pour sa reproduction et une espèce végétale. Cette dernière faisant l’objet d’une sélection dont les mécanismes évoquent ceux qui se sont mis en place quand les premiers agriculteurs humains ont sélectionné les plantes cultivées.

Pour en savoir plus

• Corbara B., 2005. Les constructions animales. Delachaux & Niestlé.
• Madden J.R., 2003. Male spotted bowerbirds preferentially choose, arrange and proffer objects that are good predictors of mating success. Behavioral Ecology and Sociobiology, 53: 263–268.
• Madden J.R., 2003. Bower decorations are good predictors of mating success in the spotted bowerbird. Behavioral Ecology and Sociobiology, 53: 269–277.
• Madden J.R., Dingle C., Isden J., Sparfeld J., Goldizen A.W & Endler J.A., 2012. Male spotted bowerbirds propagate fruit for use in their sexual display. Current Biology, 22(8), R264 (doi: 10.1016/j.cub.2012.02.057)