Sur les forums tintinophiles on s’interroge : Pourquoi dans L’étoile mystérieuse, les champignons explosent-ils ?
Pour ceux dont la collection des aventures de Tintin et Milou prendrait la poussière, voici le “pitch” de cet album culte : il s’agit de retrouver un fragment d’aérolithe tombé en Arctique et composé d’un mystérieux métal que le professeur Calys a, sans surprise, baptisé “calystène”. Une expédition scientifique est donc organisée qui réunit six savants parmi les plus sérieux sous la houlette de l’astronome addict aux caramels mous. Bien entendu, notre téméraire reporter cynophile apportera une contribution décisive à la réussite de l’entreprise, comme d’habitude.
Sur la couverture, Tintin et Milou, stupéfaits, voient surgir à leurs pieds un énorme champignon rouge et blanc. On comprend aisément leur surprise lorsque, en ouvrant l’album, on apprend que tout être vivant, dès qu’il a posé le pied (les spores ou les pattes) sur cette ile-météorite, grandit de façon spectaculaire (à l’exception de nos deux héros qui savent raison garder). Mais, comme si justement remarqué par le sagace internaute cité plus haut, seuls les champignons semblent mal le supporter et… explosent. Sur le forum, les hypothèses vont bon train : Hergé n’aurait-il pas voulu dénoncer les catastrophes d’Hiroshima et Nagasaki ?
La théorie semble d’abord séduire plus d’un exégète jusqu’à ce que l’un d’eux, plus historien que les autres, rappelle que les champignons n’ont pas connu de notoriété atomique avant le 6 aout 1945. L’étoile mystérieuse a en effet été publié en 1942 alors que la première photo rendue publique de champignon atomique date d’aout 1945 : il ne s’agissait d’ailleurs pas d’une photo de “l’exploit” japonais des Américains, mais d’un essai effectué dans le cadre du projet Manhattan, quelque temps auparavant.
Mais quelle hypothèse séduisante ! Le projet Manhattan est lancé en 1942 et, si vous scrutez attentivement la photo du congrès Solvay de physique en 1927 vous trouverez certainement parmi ces savants en col dur, d’étonnantes ressemblances avec ceux embarqués à bord de l’Aurore commandé par le capitaine Haddock. En posant les lunettes d’Erwin Schrödinger sur le nez de Louis de Broglie, vous obtenez, sans négociation possible, le professeur Pedro Joãs Dos Santos qui – je vous le donne en mille –, est le physicien de l’expédition tintinesque. Le grand Auguste Piccard qui inspira plus tard Tryphon Tournesol ne surplombe-t-il pas (en haut à gauche) l’assemblée ? Je suis prête à jurer – sans pouvoir le vérifier, car j’ai un éditorial à écrire – qu’en intervertissant les parties anatomiques et les panoplies des participants à ce congrès (qui s’est tenu – tenez-vous bien – à Bruxelles), on arrive à reconstituer les six savants dessinés par Hergé. Il faudra néanmoins faire exception de Marie Curie, car – et là encore c’est troublant – il n’y a pas plus de femmes dans Tintin qu’il n’y en a dans les congrès de physique en 1927.
Si j’ajoute à cela que les champignons ont la réputation de stocker les radiations et qu’il est de notoriété publique que celles-ci provoquent des mutations spectaculaires sur le vivant, je peux légitimement supposer, sans ciller, que L’étoile mystérieuse est une œuvre visionnaire qui n’a rien à envier à celle de Nostradamus. J’obtiens ainsi sans trop d’effort une théorie parfaitement fumeuse et vaguement complotiste qui demandera, en revanche, beaucoup d’efforts aux gens raisonnables qui voudront la démonter.
Mais peut-être suffirait-il de dire qu’avec cet album publié sous l’Occupation et mettant en scène des savants majoritairement ressortissants de pays neutres, Hergé marchait sur des œufs. C’est sans doute pour cette raison qu’il envoie prudemment Tintin cueillir des champignons en Arctique. Certainement plus expert en mycologie qu’en physique nucléaire Hergé fait exploser les champignons comme le font naturellement les vesses-de-loup.
Mais j’aime cet album qui a quelque chose de plus que les autres. Premier épisode imprimé en couleur, il nous plonge immédiatement dans une atmosphère onirique. Le personnage qui déambule dans les rues aux premières pages, vêtu d’un drap de lit, frappant un gong en criant « C’est la fin du monde ! » alors qu’apparait la météorite dans le ciel, est pour moi l’holotype du gourou, du marchand de peur qu’il me semble dénoncer. Pas étonnant que les champignons trouvent leur place dans cette fable fantastique et scientifique, comme ils ont trouvé une place au centre de la Terre, sous forme de forêts fabuleuses, dans l’œuvre de Jules Verne.
Avec leurs apparitions et disparitions fulgurantes, leur formes extraordinaires mi-animales, mi-végétales, leur endurance, leurs associations multiples avec les autres espèces, leurs gigantesques parties cryptiques… les champignons nous prouvent, tous les jours, et scientifiquement, qu’ils sont invraisemblables.